Numéro |
Cah. Myol.
Numéro 19, Juin 2019
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Page(s) | 6 - 8 | |
Section | Actualités thérapeutiques / Therapeutics news | |
DOI | https://doi.org/10.1051/myolog/201919002 | |
Publié en ligne | 5 juillet 2019 |
Les chercheurs innovent sur tous les fronts !
Researchers innovate on all fronts!
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AFM-Téléthon, Évry, France
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Centre de référence des maladies Neuromusculaires et de la SLA CHU la Timone, Marseille, France
* Contact : tnbrignol@afm-telethon.fr
Du Royaume-Uni à la Belgique en passant par la France, les équipes de recherche rivalisent de talent et d’imagination pour développer des stratégies innovantes qui préfigurent les médicaments de demain. Revue non exhaustive de la session « Thérapies innovantes » lors du congrès Myology 2019, qui s’est déroulé à Bordeaux du 25 au 28 mars.
© T.N. Brignol et al., publié par EDP Sciences, 2019
Cet article est distribué sous licence « Creative Commons » : https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/deed.fr, permettant une ré-utilisation du contenu sans restriction à condition de mentionner clairement la source.
Dystrophie musculaire facio-scapulo-humérale : un leurre pour piéger DUX4
Aucun traitement préventif ou curatif n’est encore disponible pour la dystrophie musculaire facio-scapulo-humérale (FSHD), une maladie neuromusculaire liée non pas à une perte mais à un gain de fonction. La FSHD est due à une modification d’une petite région du chromosome 4 qui rend accessible DUX4, un gène exprimé dans les toutes premières phases du développement puis rendu silencieux par la suite. La perte de marques épigénétiques répressives au sein de la matrice D4Z4 conduit à une relaxation de la chromatine et, associée à un environnement permissif dans cette région du chromosome 4, à une reprise de l’expression de ce gène dormant présent dans chaque répétition D4Z4. La cellule musculaire re-fabrique alors la protéine DUX4, toxique pour les muscles.
Les signes cliniques les plus courants apparaissent généralement au cours de la deuxième décennie de la vie, mais on ignore encore quels sont les premiers dérèglements moléculaires.
L’équipe de Julie Dumonceaux (Londres, Royaume-Uni) a étudié la propagation des protéines nucléaires et ses conséquences potentielles en réalisant des co-cultures entre des myoblastes humains malades ou témoins et des myoblastes murins C2C12, créant ainsi des hétérokaryons. Les chercheurs ont démontré que dans la FSHD, bien que la transcription de la protéine toxique DUX4 se produise uniquement dans un nombre limité de noyaux, la protéine résultante diffuse dans les noyaux proches situés dans les myotubes issus des hétérokaryons, propageant ainsi une expression génique aberrante [1].
Cette spécificité a été exploitée pour développer une approche thérapeutique originale dont le mécanisme d’action se situe au niveau du cytoplasme. La stratégie repose sur un leurre ADN double brin piégeant la protéine DUX4 endogène, empêchant ainsi l’activation aberrante du réseau de transcription de DUX4.
L’expression du gène cible en aval de DUX4 dans des myotubes en culture et des biopsies musculaires de quadriceps de patients FSHD1 (fœtus ou adultes) et de sujets contrôles a été analysée. Les deux isoformes DUX4-FL sont déjà exprimés dans les myotubes FSHD1. Fait intéressant, le niveau d’expression de DUX4-FL est beaucoup plus bas dans les myotubes issus de biopsies du quadriceps que de trapèzes, ce qui est confirmé par le niveau d’expression des gènes en aval de DUX4. Dans les biopsies de quadriceps fœtal FSHD1, les marqueurs moléculaires de la maladie (TRIM43 et MBD3L2) sont déjà surexprimés à des niveaux similaires à ceux observés dans les biopsies de quadriceps FSHD1 adulte. Ces résultats ouvrent ainsi un nouveau champ d’investigation des mécanismes conduisant à la FSHD [2]. Chez la souris, le leurre vectorisé dans un AAV s’est montré aussi efficace que le leurre seul.
Ainsi a été établie la preuve de principe de cette stratégie pour traiter une pathologie du muscle squelettique par voie intramusculaire. Le leurre ne piège que DUX4 sans tuer les cellules, un avantage par rapport à une stratégie anti-sens. Ces travaux prometteurs se poursuivent, avec notamment le développement d’un leurre AAV (dose-dépendant) pour cibler tout le corps, et la conception d’un nouveau leurre.
Vers un essai clinique de thérapie génique pour la CMT1A
La neuropathie périphérique CMT1A, forme la plus fréquente de maladie de Charcot-Marie-Tooth, est due à la duplication du gène d’une protéine de la myéline périphérique (PMP22). Cette petite protéine de 22 kDa est produite pour l’essentiel par les cellules de Schwann.
La CMT1A s’accompagne d’un excès de PMP22, conduisant à une démyélinisation des nerfs périphériques. La CMT1A est une maladie non létale mais invalidante. À ce jour, il n’existe pas de traitement curatif, mais la thérapie génique constitue une approche thérapeutique innovante.
À l’Institut des Neurosciences de Montpellier, l’équipe de Nicolas Tricaud cherche à fournir une preuve de principe pour la thérapie génique dans les nerfs périphériques en utilisant un modèle de rat transgénique pour la CMT1A, possédant trois copies du gène murin Pmp22. La stratégie consiste à réduire la surexpression de la protéine PMP22 dans les cellules de Schwann de rats à l’aide d’ARN courts en épingle à cheveux (shRNA) [3].
Les shRNA sont de petits ARN non codants qui se lient spécifiquement aux ARNm ciblés, ce qui entraîne leur dégradation. Ces outils moléculaires sont distribués aux cellules cibles par le biais du vecteur viral AAV9. Ce vecteur est sélectionné pour son taux de transduction élevé dans les cellules de Schwann myélinisantes, pour sa bonne diffusion et sa faible immunogénicité.
Lors de Myology 2019, Nicolas Tricaud a présenté les résultats encourageants de cette approche de thérapie génique délivrant des micro-injections non traumatiques bilatérales dans le nerf sciatique de rats témoins et malades. Une seule injection a permis une récupération presque totale du phénotype moteur, et une augmentation de la vitesse de conduction nerveuse chez les rats malades. La réussite a été observée dans 77 % des cas. La force musculaire (test d’adhérence), la mobilité (Rotarod) et la vitesse de conduction nerveuse des rats CMT1A traités ont été maintenues à des niveaux équivalents à ceux du type sauvage sur une longue période (au moins 12 mois, soit le tiers de leur espérance de vie du rat). L’injection d’AAV9 n’a pas généré de réponse immunitaire chez la plupart des rats. Seuls deux sur 14 ont développé des anticorps contre le virus utilisé. L’infection indésirable par l’AAV9 non ciblée a été très limitée. Le virus, observé à 100 % (32/32) dans les nerfs sciatiques, a aussi été retrouvé dans le foie et le cœur, mais pas dans les autres organes.
Les chercheurs ont également développé des biomarqueurs fiables pour mesurer l’efficacité de la thérapie chez le rat. Ils s’attachent désormais à la validation préclinique des outils moléculaires et des méthodes d’injection non traumatique sur de grands modèles animaux (macaque), à optimiser la diffusion du virus et à déterminer la dose optimale, avant de démarrer un essai clinique. Le passage à l’espèce humaine devrait concerner les formes sévères de CMT1A chez l’enfant, pour prévenir les déformations des pieds (pied creux) par injection dans les nerfs tibiaux postérieurs. Ce principe pourrait ensuite être étendu à d’autres nerfs.
Mieux comprendre le rôle de la dystrophine dans le cerveau grâce au saut d’exon médié par TcDNA-ASO
Dans la dystrophie musculaire de Duchenne (DMD), des premiers médicaments de thérapie génique utilisant des oligonucélotides antisens (ASO) existent, comme l’eteplirsen. Cependant, ces ASO administrés par voie systémique ne parviennent pas à franchir la barrière hémato-encéphalique (BHE) qui sépare le système nerveux central (SNC) du reste de l’organisme. Ils ne peuvent donc pas traiter les conséquences éventuelles de l’absence de dystrophine dans le cerveau (difficultés d’apprentissage, troubles du comportement, de l’attention…). Une nouvelle classe d’ASO (tricyclo-ADN ou tcADN) capable de traverser la BHE et d’induire le saut d’exon a permis l’expression d’une dystrophine tronquée, mais fonctionnelle, dans les tissus musculaires et cérébraux après des injections systémiques dans des modèles murins de DMD [4].
Plus récemment, un tcADN conjugué a été mis au point, montrant une absorption accrue et une efficacité améliorée dans la plupart des tissus musculaires striés, y compris le muscle cardiaque. Ce tcADN conjugué est également capable de traverser la BHE, d’induire le saut d’exon et de restaurer l’expression de la dystrophine dans le SNC. Les nouveaux tcDNA-ASO représentent donc des outils intéressants pour étudier plus avant la réversibilité des défauts cognitifs observés dans des modèles de souris dystrophiques. Des résultats ont été présentés à Myology 2019 par Faouzi Zarrouki (Université de Versailles St-Quentin, Neuroscience Paris-Saclay Institute, Orsay). En utilisant des tcDNA-ASO ciblant l’exon 23 du gène de la dystrophine, les chercheurs ont montré que la restauration de faibles niveaux de Dp427 entraîne une correction des caractéristiques comportementales liées au déficit émotionnel / cognitif dans les souris mdx. De manière similaire, en utilisant des tcDNA-ASO spécifiques de l’exon 51, la restauration du Dp427 (mais pas du Dp140) améliore de manière significative la réaction à la peur (freezing response) dans le modèle mdx52. Afin de définir plus précisément la quantité de dystrophine requise, ils ont évalué l’efficacité d’injections intracérébro-ventriculaires (ICV) de tcDNA-ASO, restaurant jusqu’à 40 % de la dystrophine dans l’hippocampe, et réalisé des tests cognitifs plus complexes tels que le test de traitement de la peur et le test de reconnaissance d’objet (mémoire à long terme). Par ailleurs, ils ont découvert que les composés à base de tcADN conjugués sont également capables de traverser la barrière rétinienne après injections intraveineuses et d’induire le saut d’exon 51 dans la rétine de souris mdx52,cequi permet aussi d’étudier la possibilité de restaurer les déficits de la fonction rétinienne.
Ces outils et données vont permettre de mieux comprendre la neurobiologie de la DMD et de mieux préciser le rôle de la dystrophine dans la modification des processus cognitifs chez les patients atteints de DMD.
Myopathie centronucléaire : un nouveau modèle de poisson zèbre grâce à CRISPR/Cas9
Les myopathies centronucléaires (MCN) constituent un groupe d’affections musculaires génétiques rares et précoces pour lesquelles aucun traitement curatif n’est disponible. Elles sont dues à des mutations de plusieurs gènes, notamment ceux de la myotubularine (MTM1) et de la dynamine 2 (DNM2).
Des mutations dans MTM1 entraînent la myopathie myotubulaire liée à l’X (XLCNM), forme la plus fréquente et la plus sévère de MCN.
Il existe de nombreux modèles animaux, dont la souris Mtm1-KO qui reproduit la symptomatologie et l’histologie de la maladie humaine. Dans le même modèle de souris, Dnm2 a été identifié comme une cible thérapeutique potentielle. Un autre modèle, le poisson zèbre, est utilisé pour générer d’autres modèles de la maladie et des lignées transgéniques afin dé′valuer la fonction musculaire. Il est aussi très utile pour cribler les traitements avant de passer chez la souris, puis chez l’homme.
Les myotubularines constituent une grande famille de protéines composée de 17 membres chez le poisson zèbre (14 dans le génome humain). Dans un modèle murin de XLCNM, plusieurs défauts ont été observés, tels que le couplage dysfonctionnel excitation-contraction dû à une structure de triade anormale.
Le modèle transitoire de poisson zèbre mtm1 obtenu par injections d’oligonucléotides morpholinos (knockdown) n’est pas idéal pour cribler des molécules à visée thérapeutique. Pour ce faire, il faut obtenir des lignées stables.
Afin de tester à grande échelle des thérapies médicamenteuses (par exemple, des inhibiteurs de la dynamine), l’équipe d’Eléonore Dupuis (Université Libre de Bruxelles) a généré un mutant de poisson zèbre, le mutant exon8 mtm1 en utilisant la technologie CRISPR/Cas9, un outil de modification du génome qui permet de cibler une zone précise d’ADN pour l’enlever, la réparer ou la modifier (à la manière de « ciseaux moléculaires »).
Ce mutant présente une dégénérescence progressive du pli de la nageoire, des troubles moteurs (diminution de la distance parcoure en 10 minutes) et une mortalité précoce (100 % de décès à J11) mais, étonnamment, aucun défaut de l’ultrastructure musculaire par comparaison au poisson sauvage. La fonction de la triade est conservée chez le mutant. La première hypothèse pour expliquer l’absence de défaut musculaire est la compensation génétique par un gène homologue redondant sur le plan fonctionnel de mtm1. Les chercheurs ont effectué une analyse du transcriptome par RNAseq sur des poissons mutants mtm1 et sauvages afin de mettre en évidence les gènes potentiels présentant une expression dérégulée. L’analyse n’a pas montré de régulation positive évidente dans les autres gènes de la famille des tubularines, alors que les marqueurs de l’inflammation et de l’apoptose sont régulés positivement. Cette compensation génétique induite par des mutations délétères pourrait être une conséquence des déclencheurs de l’adaptation transcriptionnelle par l’ARNm muté. Ces données révèlent ainsi l’activation d’un réseau compensatoire servant de tampon contre les mutations délétères, phénomène non observé après un renversement de la traduction ou de la transcription par des suppressions (knockdown) de gènes [5].
Afin de vérifier cette hypothèse, les chercheurs ont généré des mutants mtm1 présentant de grandes délétions englobant le promoteur et l’exon 1 du gène afin d’éviter toute transcription active de l’ARNm muté. L’étude des mécanismes moléculaires responsables d’un phénotype musculaire compensatoire chez le poisson zèbre knock-out mtm1 pourrait aboutir à la mise au point de nouveaux traitements médicamenteux.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
- Ferrebœuf M, Mariot V, Furling D, Butler-Browne G, Mouly V, Dumonceaux J, Nuclear protein spreading: implication for pathophysiology of neuromuscular diseases. Hum Mol Genet. 2014 ; 23 : 171-81. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Ferrebœuf M, Mariot V, Bessières B, et al. DUX4 and DUX4 downstream target genes are expressed in fetal FSHD muscles. Hum Mol Genet. 2014 ; 23 : 171-81. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Van Hameren G, Gonzalez S, Fernando RN, Perrin-Tricaud C, Tricaud N, In vivo introduction of transgenes into mouse sciatic nerve cells using viral vectors. Methods Mol Biol. 2018 ; 1791 : 263-76. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Relizani K, Griffith G, Echevarría L, et al. Efficacy and safety profile of tricyclo-DNA antisense oligonucleotides in Duchenne muscular dystrophy mouse model. Mol Ther Nucleic Acids. 2017 ; 8 : 144-57. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Rossi A, Kontarakis Z, Gerri C, et al. Genetic compensation induced by deleterious mutations but not gene knockdowns. Nature. 2015 ; 524 : 230-3. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
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