Numéro |
Cah. Myol.
Numéro 19, Juin 2019
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Page(s) | 25 - 27 | |
Section | Mise au point / Focus | |
DOI | https://doi.org/10.1051/myolog/201919007 | |
Publié en ligne | 5 juillet 2019 |
Le tamoxifène dans l’arsenal thérapeutique des maladies neuromusculaires ?
Tamoxifen in the therapeutic arsenal of neuromuscular diseases?
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Biochimie pharmaceutique, Section des sciences pharmaceutiques, Université de Lausanne, Université de Genève, Genève, Suisse
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Direction des Actions médicales, AFM-Téléthon, Évry, France
* Contact : Olivier.Dorchies@unige.ch
Compte tenu des coûts importants du développement clinique de nouvelles molécules et de la lenteur de la découverte de nouveaux traitements, repositionner un médicament « ancien » dans une nouvelle indication s’avère parfois une solution intéressante. Elle implique de réutiliser un composé dont la sécurité et la tolérance ont déjà été démontrées, avec potentiellement une réduction des délais et des budgets de développement, mais aussi une augmentation des chances de succès. Le tamoxifène, utilisé en oncologie depuis près de 40 ans, est ainsi considéré comme un candidat médicament prometteur pour la dystrophie musculaire de Duchenne mais aussi pour la myopathie myotubulaire liée à l’X. Point d’étape…
© O. Dorchies et T.N. Brignol, publié par EDP Sciences, 2019
Cet article est distribué sous licence « Creative Commons » : https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/deed.fr, permettant une ré-utilisation du contenu sans restriction à condition de mentionner clairement la source.
Un modulateur sélectif des récepteurs des œstrogènes
Le mécanisme de blocage des récepteurs des œstrogènes des cellules cancéreuses a été découvert à la fin des années 1950 par Arthur Walpole. Le tamoxifène se fixe de façon spécifique sur les récepteurs des œstrogènes (ERα,ERβ). Il agit par inhibition compétitive de la liaison de l’œstradiol sur ces récepteurs et en module la réponse : il exerce soit un effet agoniste (il mime les effets des œstrogènes), soit un effet antagoniste (anti-œstrogènes), selon les tissus. Ce médicament possède un effet œstrogénique dans plusieurs tissus tels que l’endomètre (utérus) et l’os (diminution de la perte osseuse après la ménopause) ainsi que sur les lipides sanguins (diminution du LDLcholestérol). En revanche, le tamoxifène agit comme un anti-œstrogène sur la glande mammaire. Il est ainsi utilisé sous forme orale dans le traitement de cancers du sein hormono-dépendants (ceux stimulés par la liaison des œstrogènes à ERα et ERβ) chez les femmes et les hommes [1, 2]. Il a aussi été expérimenté dans diverses pathologies telles que l’infertilité masculine idiopathique [3] et le rhinophyma [4]. Le tamoxifène s’est révélé sans danger chez des enfants dans le traitement de garçons pubères de petite taille [5] et de la gynécomastie pubertaire [6].
Tamoxifène et dystrophie musculaire de Duchenne : un parcours de recherche méthodique
L’essai du tamoxifène dans la dystrophie musculaire de Duchenne (DMD; OMIM 310200) est intimement lié à l’étude de ses effets dans un modèle murin de DMD.
Essais précliniques
Des améliorations de la force musculaire ainsi que de la structure du diaphragme et du cœur chez la souris mdx5Cv ont été observées, après administration orale de tamoxifène à partir de l’âge de trois semaines, pendant 15 mois à une dose de 10 mg/kg/jour. Il a stabilisé les membranes des myofibres, amélioré la structure des muscles des pattes postérieures, normalisé la motricité et la force des muscles des pattes postérieures. La fibrose du muscle cardiaque a été diminuée d’environ 50 %. Le tamoxifène a également réduit la fibrose du diaphragme, tout en augmentant son épaisseur, le diamètre et le nombre de ses fibres, accroissant ainsi de 72 % la quantité de tissu contractile disponible pour la fonction respiratoire. Le tamoxifène et ses métabolites ont été retrouvés à des concentrations nanomolaires dans le plasma et les muscles. Les récepteurs des œstrogènes ERα et ERβ se sont avérés nettement plus abondants dans les muscles dystrophiques que dans les muscles normaux, et le tamoxifène a normalisé l’abondance relative des isoformes d’ERβ [7]. Dans une étude qui n’a pas encore été publiée, il a par la suite été démontré chez la souris mdx5Cv adulte que le tamoxifène est efficace à des doses beaucoup plus faibles. Cette étude a permis de déterminer la dose équivalente chez l’homme pour que le tamoxifène exerce son action réparatrice sur des muscles endommagés [8].
Un essai de phase I en ouvert
Ces résultats précliniques encourageants ont conduit le Pr Talya Dor (Hôpital Hadassah de Jérusalem) à une utilisation compassionnelle du tamoxifène chez trois garçons DMD traités pendant plus de 24 mois. Les résultats, non encore publiés, sont en faveur d’une innocuité et d’une certaine efficacité clinique du tamoxifène.
Un essai ouvert de plus grande envergure sur 19 patients atteints de DMD a ensuite été initié par la même équipe sur une durée de 36 mois (https://clinicaltrials.gov/ct2/show/NCT02835079). Le critère principal de jugement est le test de marche de 6 minutes (6MWD), effectué tous les trois mois pendant les 12 premiers mois, puis tous les six mois pendant la période de suivi de 24 mois. En critère secondaire, l’échelle d’évaluation North Star Ambulatory Assessment (NSAA) est testée à la même fréquence. L’étude a débuté en novembre 2016 et devrait s’achever en novembre 2020.
Essai de phase III multicentrique TAMDMD
À la suite de longues tractations et grâce à un financement associatif substantiel (en particulier de Duchenne UK), un essai de phase III multicentrique randomisé en double aveugle, contrôlé contre placebo (TAMDMD) a été lancé en juin 2018 (https://clinicaltrials.gov/ct2/show/NCT03354039) et devrait se terminer en juin 2020. Coordonnée par le Pr Dirk Fischer (hôpital universitaire de Bâle, Suisse), cette étude a pour objectif d’évaluer l’innocuité et l’efficacité du citrate de tamoxifène administré pendant 48 semaines à une centaine de patients DMD. Les premiers patients ont été recrutés fin 2018. Les participants sont répartis de façon aléatoire en deux groupes de traitement : tamoxifène et placebo. Le tamoxifène est administré à la dose de 20 mg une fois par jour, pendant 48 semaines. Il est prévu d’inclure au moins 84 patients DMD ayant gardé la marche, âgés de 6,5 à 12 ans (groupe A), sous corticothérapie, et 16 à 20 patients DMD non ambulants âgés de 10 à 16 ans (groupe B) non traités par corticoïdes. Pour atteindre la puissance statistique, 60 patients ambulants (groupe A) doivent avoir terminé l’essai. Cinq pays participent actuellement à cette étude : Allemagne, Espagne, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suisse. La France aurait dû y participer (deux centres avaient manifesté leur intérêt) mais l’ANSM (Agence du Médicament) en a jugé autrement pour des questions réglementaires et méthodologiques.
Le principal critère de jugement est la réduction de la progression de la maladie, qui chez les patients DMD ambulants âgés de 6,5 à 12 ans (groupe A) doit être au moins égale à 50 % (en utilisant le sousscore MFM D1 comme critère d’évaluation clinique principal) par rapport au groupe contrôle sous placebo. Parmi les critères d’évaluation secondaires, figurent l’échelle de mesure de la fonction motrice (sous-scores D2 et D3 de MFM), l’échelle d’évaluation NSAA, la distance de marche de 6 minutes, les tests de force musculaire quantitatifs (avec Myogrip) et l’IRM musculaire quantitative de la cuisse. Par ailleurs, une radiographie de la main et une analyse par absorptiométrie biphotonique à rayons X (DEXA) seront effectuées au début et à la fin de l’étude.
Un traitement potentiel également dans la myopathie myotubulaire liée à l’X
La myopathie myotubulaire liée à l’X (XLMTM, également connue sous le nom de XLCNM; OMIM 310400) est une myopathie congénitale rare et gravissime, due à des mutations du gène de la myotubularine, MTM1. Elle est caractérisée par une hypotonie généralisée, entraînant le décès avant l’âge de deux ans chez la plupart des patients.
Des études précliniques ont montré que le tamoxifène administré par voie orale aux souris déficientes en myotubularine (Mtm1−/y) améliorait considérablement les caractéristiques fonctionnelles, histologiques et moléculaires de la maladie, avec pour conséquence une augmentation considérable (plus de six fois) de la durée de vie médiane (Figure 1).
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Figure 1 Courbes de survie et photographies de souris saines (WT) et de souris malades « myotubulaires » (XLMTM) illustrant la protection conférée par le tamoxifène (TAM) chez les souris adultes et âgées. |
Le tamoxifène améliore la fonction motrice globale et empêche la progression de la maladie, notamment la paralysie des pattes postérieures. Il améliore le positionnement des noyaux des cellules musculaires, l’architecture sarcomérique, le nombre de triades et le couplage excitation-contraction. Les taux d’expression des modificateurs de la XLMTM tels que la DNM2 (dynamine 2) et BIN1 (Bridging Integrator 1 ou amphysine 2) sont normalisés, contribuant à l’amélioration phénotypique [9]. Ces résultats font du tamoxifène un candidat prometteur pour une évaluation clinique chez les patients atteints de XLMTM, vraisemblablement via la modulation des voies dépendantes des œstrogènes [10]. Le tamoxifène pourrait également être utile dans d’autres myopathies où des anomalies des tubules T secondaires à une augmentation du taux de DNM2 contribuent à la pathogenèse, telles que les myopathies liées à BIN1 et les myopathies liées à la cavéoline-3 et à la dysferline [9, 11-13].
Conclusion
La découverte de nouveaux médicaments est un processus long, coûteux et non dénué d’aléas de tous ordres. L’évaluation de médicaments dont l’utilisation chez l’homme a déjà fait ses preuves dans une nouvelle indication réduit considérablement les coûts et les délais de développement des traitements de maladies létales telles que la DMD et la myopathie myotubulaire liée à l’X [14].
Sans s’attaquer à la racine du mal, le tamoxifène pourrait être efficace pour contrer les symptômes de la maladie, à en juger par les études cliniques et précliniques en cours dans la DMD et la myopathie myotubulaire. L’étude des mécanismes d’action est en cours. Selon les résultats, le tamoxifène pourrait se montrer bénéfique pour un plus grand nombre de maladies musculaires. De façon générale, et en l’absence d’AMM spécifiques, l’administration chez les patients de telles molécules repositionnées passent par une prescription laquelle engage, par définition, la responsabilité du médecin prescripteur. Du fait de son prix très modique et de sa grande disponibilité que ce soit en officine ou sur Internet, un certain nombre de familles DMD ont déjà recours au tamoxifène ce qui ne va pas sans poser de questionnements, la pire des situations résidant dans l’auto-médication. C’est la raison pour laquelle la Filière Filnemus œuvre à la mise en place d’un groupe de travail sur le sujet pour mieux accompagner les familles, les aider dans leur décisions, et leur éviter l’automédication provenant de sources non certifiées.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
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Liste des figures
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Figure 1 Courbes de survie et photographies de souris saines (WT) et de souris malades « myotubulaires » (XLMTM) illustrant la protection conférée par le tamoxifène (TAM) chez les souris adultes et âgées. |
Dans le texte |
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