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Open Access
Numéro
Cah. Myol.
Numéro 15, Juin 2017
Page(s) 13 - 16
Section Cas cliniques / Case reports
DOI https://doi.org/10.1051/myolog/201715004
Publié en ligne 23 juin 2017

© T. Stojkovic, publié par EDP Sciences, 2017

Licence Creative CommonsCet article est distribué sous licence « Creative Commons » : http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/deed.fr/, permettant une ré-utilisation du contenu sans restriction à condition de mentionner clairement la source.

Observation : un cas longtemps resté sans solution

Deux patients issus d’une même fratrie, frère et sœur, sont adressés en consultation de pédiatrie pour une faiblesse motrice.

Le patient (II1) est né à terme. Les parents notent à l’âge de 5 ans une marche dandinante et des difficultés à la course, pour les sauts. Une rétraction des tendons d’Achille apparaît à 11 ans, l’enfant marchant alors sur la pointe des pieds. Il est dispensé de sport. Ces rétractions s’étendent au cours de l’adolescence aux coudes, aux genoux et aux poignets.

L’examen clinique à 20 ans révèle un déficit moteur proximal et à moindre degré distal des quatre membres associé à des rétractions des chevilles, des genoux, des coudes, des poignets et des doigts (fléchisseurs). Le rachis est raide, la distance main-sol étant de 10 cm. L’examen des nerfs crâniens, de la sensibilité est normal ainsi que l’évaluation cognitive. La peau est fine et granuleuse. Le patient est ambulatoire mais utilise la rampe pour les escaliers. L’évolution clinique est ensuite lentement progressive et tend vers une accentuation de la faiblesse motrice axiale et proximale. Toutefois le patient demeure ambulatoire à l’âge de 45 ans.

Sa sœur cadette (II2), née à terme, a eu également des difficultés en sport, apparues très précocement dans l’enfance. À 13 ans, sont notées des rétractions achilléennes, suivies à 15 ans par des rétractions des coudes, des doigts et des poignets. Le rachis est souple dans sa globalité. À 20 ans, le déficit moteur est très modéré, les muscles étant cotés 4/5 en proximal. L’examen de la peau est normal. La patiente est ambulatoire sans limitation du périmètre de marche. À 35 ans, on note une accentuation de la fatigabilité et du déficit moteur des muscles proximaux aux membres inférieurs. Le périmètre de marche sans aide se réduit aux alentours de 500 mètres.

Les examens paracliniques comportent un dosage de CPK évalué à 500 UI/L en moyenne, une biopsie musculaire révélant un aspect de dystrophie musculaire. Les immunomarquages pour les protéines membranaires y compris la mérosine, sont normaux. L’analyse des gènes de la calpaïne, de la lamine A/C est normale. L’échographie cardiaque et l’électrocardiogramme sont normaux. Les explorations fonctionnelles respiratoires montrent une capacité vitale normale chez la patiente II2 et une réduction de 27% par rapport à la valeur théorique pour le patient II1.

Ces deux patients ont un examen clinique et une imagerie musculaire (Figure 1) compatible avec une myopathie liée au collagène VI : rétractions précoces, imagerie montrant une atrophie graisseuse en périphérie des muscles vastes (flèches) et une atrophie graisseuse centrale du muscle droit antérieur réalisant une encoche (flèche, patient II1). On note cependant que le patient II1 a une atteinte plus sévère des muscles de la cuisse par rapport à sa sœur dont le phénotype est plus modéré. L’IRM musculaire de cette dernière ne montre qu’un liseré fin d’involution graisseuse situé en périphérique du muscle vaste externe (flèches). Le diagnostic de myopathie de Bethlem est d’ailleurs évoqué très tôt au cours de leur suivi. La sécrétion du collagène VI sur fibroblastes est diminuée. L’analyse moléculaire des gènes COL6A1-3 (extrait à partir des ARN messagers des fibroblastes) révèle alors un variant p.Ser623Tyr sur le gène COL6A2 identifié chez les deux patients II1, II2 (Figure 2) et chez leur père (I1). Or, l’examen clinique des parents âgés respectivement de 65 et 63 ans, ne révèle aucun déficit moteur, ni aucune rétraction. Les taux de CPK sont normaux chez les parents.

thumbnail Figure 1

Ségrégation du variant COL6A2 p.Ser623Tyr en 2008.

thumbnail Figure 2

Imagerie musculaire des membres inférieurs des individus II1 et II2.

Dès lors, si on considère que le diagnostic de BM reste valide, l’hypothèse d’une seconde mutation passée inaperçue paraît alors la plus plausible. En effet, les données d’examen clinique et l’arbre généalogique suggèrent une transmission autosomique récessive.

Une étude d’exome est alors réalisée dans cette famille à la recherche d’une seconde mutation du gène COL6A2 pouvant valider l’hypothèse d’une transmission auto- somique récessive. Aucun nouveau variant n’est identifié dans les gènes COL6A1, COL6A2 et COL6A3. Il n’y a pas d’autre gène candidat retenu.

En 2015, le père (I1), âgé de 73 ans, sous statines depuis plusieurs années pour une coronaropathie, se plaint de l’installation insidieuse depuis 18 mois d’une faiblesse motrice des membres inférieurs, rendant la montée des escaliers difficile sans rampe. Il ne peut se relever de la position accroupie. L’examen clinique confirme le déficit moteur proximal des membres inférieurs (psoas, fessiers côtés à 3/5). On note une cyphose. Le périmètre de marche est d’un kilomètre avec une canne.

Les examens paracliniques montrent des CPK normales, et l’absence d’anticorps anti-myosites y compris contre l’anti-HMG-CoA réductase. La biopsie musculaire révèle un aspect de dystrophie musculaire sans aucun élément inflammatoire. L’imagerie musculaire (Figure 3) des cuisses montre une atrophie graisseuse intéressant le pourtour des vastes externes (flèches). Cette imagerie est similaire à celle de son fils (II1).

thumbnail Figure 3

Conclusions obtenues en 2016. A) Imagerie musculaire, B) Ségrégation de la mutation COL6A2.

La mère (I2) n’a aucune plainte motrice et l’examen des fonctions motrices est normal.

L’imagerie musculaire permet ainsi dans cette famille de conclure à l’implication du variant p.Ser623Tyr du gène COL6A2 dans la pathogénicité de la myopathie des patients I1, II1 et II2.

Cette mutation faux-sens touche le premier domaine C-terminal de la protéine, et perturbe plus particulièrement un motif dit MIDAS (metal ion-dependent adhésion site motif), important pour la liaison à des partenaires, ce qui plaide en faveur de son caractère pathogène.

Discussion

Bien que décrites à l’origine comme des entités distinctes, il existe un continuum clinique entre myopathie d’Ullrich (UCMD et myopathie de Bethlem (BM) faisant apparaître un troisième phénotype clinique lié au COLVI, correspondant aux formes dites intermédiaires aussi appelées soit « UCMD bénin » soit « Bethlem sévère ». La fréquence de ces myopathies semble se positionner en quatrième place des myopathies après la myopathie de Duchenne, la myopathie facioscapulohumérale, la maladie de Steinert et les dystrophies des ceintures avec déficit en alpha-dystroglycane.

Les myopathies liées au COLVI sont dues à des mutations dans un des trois gènes codant les chaînes du collagène VI. Ces mutations entraînent soit une perte de fonction (transmission autosomique récessive), notamment dans les cas d’UCMD et plus rarement de BM, soit un effet dominant-négatif. Ces dernières sont majoritaires, avec respectivement plus de 50% et 90% pour les UCMD (néo-mutations) et les BM [1].

Le diagnostic

Le diagnostic repose sur un faisceau d’arguments cliniques (A) et paracliniques (B, C, D, G +/- E, F) caractéristiques.

  1. Le phénotype

    Le trépied commun aux UCMD et BM :

    • Faiblesse musculaire à prédominance proximale,

    • Rétractions précoces et hyperlaxité plus ou moins importante,

    • Anomalies cutanées = chéloïdes, peau granuleuse fine.

    L’UCMD est caractérisée par une hypotonie néonatale et un retard des acquisitions motrices. Un torticolis et une luxation congénitale de hanche peuvent être observés. L’examen clinique note des rétractions articulaires proximales et distales, associées à une hyperlaxité des articulations distales et parfois proximales. Certains enfants atteints peuvent toutefois acquérir la capacité de marcher de façon indépendante, mais la progression de la maladie se traduit souvent par une perte ultérieure de la marche. Une insuffisance respiratoire précoce et sévère grevant le pronostic vital peut nécessiter une assistance respiratoire au cours de la première ou deuxième décade. Par contre, il n’existe aucune altération des capacités cognitives et l’imagerie cérébrale est normale.

    La BM est caractérisée par une faiblesse des muscles proximaux et des rétractions le plus souvent des articulations distales et à moindre degré des proximales (fléchisseurs des doigts, coudes et chevilles). Les signes cliniques peuvent apparaître dans la période néonatale sous forme d’une hypotonie, d’un torticolis, dans la petite enfance (faiblesse musculaire et rétractions), ou à l’âge adulte (faiblesse proximale, rétractions distales des chevilles, tendons d’Achille, coudes, articulations interphalangiennes distales et proximales, poignets). En raison de la progression lente mais continue de la maladie, deux tiers des patients de plus de 50 ans nécessitent une aide pour marcher. Une insuffisance respiratoire restrictive peut apparaître notamment lorsque le handicap fonctionnel s’accentue, menant parfois à une ventilation nocturne [3].

  2. L’imagerie musculaire

    L’imagerie musculaire est d’une aide précieuse au diagnostic de myopathie liée au collagène VI. Elle s’inscrit dans la démarche diagnostique de ces myopathies rétractiles. En effet, en imagerie musculaire, l’involution graisseuse (visible sous la forme d’une hypodensité au scanner ou hypo-intense en T1 en IRM) débute à la périphérie des muscles, notamment des muscles de la cuisse (vaste externe) et de la jambe (soléaire, gastrocnémiens). Cette couronne hypodense souligne le contour des muscles de façon très nette. Une hypodensité centrale du muscle droit antérieur est également assez typique. Lorsque l’atrophie graisseuse ne permet pas l’analyse des membres inférieurs, l’imagerie musculaire corps entier par résonance magnétique montre ce type caractéristique d’involution graisseuse au sein de muscles proximaux comme le sous-épineux ou le sous-scapulaire.

  3. Les CPK sont souvent normales ou modérément élevées (< 1 000 U/l)

  4. L’absence de cardiopathie ou de troubles de conduction ou du rythme cardiaque

  5. La biopsie musculaire

    Elle montre des anomalies dystrophiques discrètes, ou un profil myopathique. Elle permet surtout d’exclure d’autres pathologies dystrophiques (telles que le §; déficit en mérosine…).

  6. La biopsie de peau

    Elle permet d’extraire des fibroblastes au sein desquels il est possible d’identifier chez ces patients une rétention intracellulaire de collagène, une sécrétion réduite et/ou anormale du COLVI. Ces anomalies de sécrétion du collagène ne sont cependant pas strictement spécifiques de mutations des gènes COL6A1-3 et peuvent être secondaires à d’autres pathologies.

  7. La biologie moléculaire

    L’identification des mutations sur l’un des trois gènes COL6A1, COL6A2, COL6A3 est réalisée de nos jours par séquençage à haut débit sur l’ADN extrait des leucocytes. Elle nécessite impérativement de vérifier la ségrégation des variants identifiés au sein de la famille du patient.

    Néanmoins, le phénotype et/ou l’imagerie musculaire permettent d’asseoir le diagnostic. En effet, comme le montre cette observation, les phénotypes de BM sont très variables allant de formes très modérées, quasi asymptomatiques aux formes plus sévères. Il est donc impératif de réaliser un examen clinique et une imagerie musculaire non seulement chez le propositus mais également auprès des parents, voire de la fratrie. Les cas simples sont ceux pour lesquels la clinique, l’imagerie et la biologie moléculaire sont concordantes au sein d’une famille. Néanmoins, dans certains cas aucune mutation sur l’un des ces trois gènes ne peut être identifiée et ce malgré une clinique, une imagerie compatible et l’absence de diagnostic alternatif sur l’anatomopa- thologie musculaire. Il faut alors se tourner vers d’autres techniques, permettant de détecter des mutations introniques profondes, de grandes délé- tions, telles que l’étude des ARN messagers extraits soit de fibroblastes soit du muscle. Il faut également vérifier qu’il existe effectivement des anomalies de sécrétion du collagène sur les cultures de fibroblastes.

    De nos jours, les étapes E et F (biopsie de peau et muscle) peuvent être éludées si les critères A, B, C et D sont respectés : clinique et imagerie musculaire évocatrices du diagnostic, et absence d’élévation des CPK au-delà de 1 000 UI/L et de cardiopathie. Si l’un de ces critères fait défaut et/ou si les analyses des trois gènes ne révèlent pas de mutation pathogène, il faut recourir à la biopsie musculaire et de peau, ce qui permettra respectivement de poser un diagnostic alternatif de myopathie (autre myopathie associée à des rétractions telles que les myopathies d’Emery-Dreifuss, etc.) et d’étudier la sécrétion du collagène VI, voire du XII le cas échéant [4].

    Au sein des UCMD et des BM, il existe une très grande variabilité intrafamiliale ou interfamiliale du phénotype clinique allant des formes les plus sévères aux formes bénignes, comme ceci est le cas pour notre patient I1. Il est donc difficile de prédire le phénotype clinique pour un fœtus porteur d’une mutation COL6A donnée, cette dernière pouvant être à l’origine d’un phénotype UCMD ou BM.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

  1. Allamand V, Brinas L, Richard P, et al. ColVI myopathies: where do we stand, where do we go? Skelet Muscle 2011; 1 :30. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Bonnemann CG. The collagen VI-related myopathies: muscle meets its matrix. Nat Rev Neurol 2011; 7 : 379–90. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Deconinck N, Richard P, Allamand V, et al. Bethlem myopathy: long-term follow-up identifies COL6 mutations predicting severe clinical evolution. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2015; 86 : 1337–46. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Eymard B, Ferreiro A, Ben Yaou R, Stojkovic T. Muscle diseases with prominent joint contractures: main entities and diagnostic strategy. Rev Neurol 2013; 169 : 546–563. [Google Scholar]

Liste des figures

thumbnail Figure 1

Ségrégation du variant COL6A2 p.Ser623Tyr en 2008.

Dans le texte
thumbnail Figure 2

Imagerie musculaire des membres inférieurs des individus II1 et II2.

Dans le texte
thumbnail Figure 3

Conclusions obtenues en 2016. A) Imagerie musculaire, B) Ségrégation de la mutation COL6A2.

Dans le texte

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