Numéro |
Cah. Myol.
Numéro 23, juillet 2021
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Page(s) | 32 - 37 | |
Section | Prix sfm / Sfm prize | |
DOI | https://doi.org/10.1051/myolog/202123012 | |
Publié en ligne | 2 août 2021 |
Réactions d’hypersensibilité immédiate à l’enzymothérapie substitutive dans la maladie de Pompe : quel bilan et comment gérer la réintroduction de l’enzymothérapie substitutive en pratique clinique ?
Infusion-associated hypersensitive reactions induced by Enzyme Replacement Therapy (ERT) in Pompe disease: which work-up and how to handle it in clinical practice
1
Service d’Électroneuromyographie et de pathologies neuromusculaires, Hôpital Neurologique Pierre Wertheimer, Hospices Civils de Lyon, France
2
Centre de référence des maladies neuromusculaires Nord/Est/He-de-France, CHU Lille, Université de Lille, InsermU1171, Lille, France
3
Centre de référence des maladies neuromusculaires, Hôpital Timone Adultes, Assistance Publique Hôpitaux de Marseille, Inserm, MMG, UMR1251, Aix Marseille Université, Marseille, France
4
Université Côte d’Azur, Peripheral Nervous System & Muscle Department, Pasteur 2 Hospital, Centre Hospitalier Universitaire de Nice, Nice, France
5
Service de Neurologie, CHU Raymond Poincaré, APHP, Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines, Garches, France
6
Institut de Myologie, AP-HP, centre de référence des maladies neuromusculaires Nord/Est/He-de-France. G-H Pitié Salpêtrière, Paris, France
7
Centre d’investigation clinique et Innovation technologique CIC 14.29, INSERM, Garches, France
8
Service d’explorations fonctionnelles du système nerveux, CHU Amiens Picardie, site sud, 80054 Amiens, France
9
Service Explorations et Pathologies Neuromusculaires, CHRU Besançon, Besançon, France
10 Département de médecine interne et immunologie clinique, Hôpital Édouard Herriot, Hospices Civils de Lyon, France, INMG Inserm U1217. Université Claude Bernard Lyon 1, Faculté de Médecine Lyon Est, Lyon, France
11
Service d’Immunologie clinique et Allergologie, Pavillon 5F, Centre Hospitalier Lyon-Sud, 69495 Pierre-Bénite Cedex, France
* Contact francoise.bouhour@chu-lyon.fr
La maladie de Pompe (MP) ou glycogénose de type II, est une maladie de surcharge lysosomale héréditaire, autosomique récessive, due à un déficit en alpha-glucosidase acide (GAA, ou maltase acide). Le traitement médicamenteux repose sur une enzymothérapie substitutive (ETS) au long cours et est associé à une amélioration des fonctions motrices et respiratoires, ainsi qu’à une baisse de la mortalité chez les patients adultes traités [1, 2]. En France, 115 patients adultes environ sont actuellement traités par ETS [3].
Patients 1à8.
Patients 9 à 15.
Récapitulatif.
Des réactions à la perfusion (RAP), définies comme les signes et/ou symptômes survenant dans les 24 heures suivant le début de la perfusion, sont possibles sous ETS. Ce sont le plus souvent des réactions d’hypersensibilité immédiate (HI), généralement bénignes (28% chez les adultes traités versus 23% dans le groupe placebo) mais sévères voire fatales dans moins de 1% des cas [4]. Il n’existe pas à l’heure actuelle d’alternative thérapeutique à l’ETS ayant une autorisation de mise sur le marché dans la maladie de Pompe. La question de la contre-indication définitive de l’ETS après une réaction d’hypersensibilité immédiate revêt une importance capitale pour ces patients.
Rash cutané, œdème, ou dyspnée au cours d’une perfusion d’enzymothérapie substitutive : réaction allergique ou non allergique ? Doit-on contre-indiquer le traitement ?
Les réactions d’hypersensibilité immédiate sont classées en deux catégories selon le mécanisme sous-jacent : allergique ou non allergique. La clinique seule ne permet pas de les différencier. Ces manifestations peuvent prendre plusieurs formes : rash cutané, œdème cutanéomuqueux, dyspnée, tachycardie, hypotension... Les symptômes sont provoqués par le relargage de médiateurs tels que l’histamine, la tryptase ou encore les leucotriènes. L’identification du mécanisme de la réaction est une étape importante dans la décision de réintroduction ou d’arrêt définitif du médicament, et dans le choix de ses modalités [5]. Or, les mécanismes à l’origine de ces effets secondaires en lien avec l’ETS dans la maladie de Pompe sont encore peu décrits. Il n’existe pas à l’heure actuelle de recommandations consensuelles concernant la gestion de la réintroduction de l’ETS après une réaction à la perfusion. L’objectif de notre étude était donc de détailler les cas de réactions d’HI à l’ETS chez les patients adultes suivis en France, et de rapporter les expériences locales de réintroduction du traitement, et notamment celles faisant appel à des protocoles de désensibilisation.
Retour d’expérience : les réactions d’hypersensibilité immédiate chez les patients Pompe adultes traités en France par enzymothérapie
La cohorte étudiée comprenait 15 patients suivis dans sept centres de référence (Tableaux I, II, III). 80% étaient des femmes, l’âge moyen était de 52 ans, et le délai moyen entre l’instauration de l’ETS et la première réaction d’hypersensibilité immédiate était de 23,7 mois (médiane : 15 mois, intervalle : 1 à 144 mois). Les premiers symptômes survenaient entre 20 et 240 minutes après le début de la perfusion. 53% des patients ont présenté une réaction de grade I selon la classification de Ring et Messmer (Figure 1). Un seul patient a présenté une réaction de grade III avec choc anaphylactique. Six patients ont présenté une réaction de grade II. Les IgG anti-GAA étaient positifs chez 14 patients, dont trois à des taux très élevés (> 1 :100 000) [6]. Cinq patients n’avaient pas bénéficié de tests allergologiques. On observait des signes en faveur d’une allergie tels qu’une positivité des IgE anti-GAA, des pricks tests et/ou de l’intradermoréaction (IDR) chez deux patients seulement. La tryptase était négative chez les neuf patients testés.
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Figure 1 Proposition d’arbre décisionnel pour la prise en charge des réactions d’hypersensibilité immédiate (HI) sous enzymothérapie substitutive (ETS) et gestion de la réintroduction del’ETS chez les patients adultes suivis pour une maladie de Pompe. * Le bilan biologique allergologique réalisé ne doit pas retarder les mesures d’urgence. La tryptase est à réaliser dès que possible (<90 min) puis un second dosage est à effectuer dans les heures suivant la réaction d’HI. Le dosage du complément et de l’histamine est à effectuer dans les 90 minutes suivant la réaction d’HI. Le dosage des IgE et IgG anti-GAA est à réaliser au moins 3jours après la réaction d’HI. ** Il n’existe pas à l’heure actuelle de données bibliographiques pour les réactions de grade IV à l’ETS (discussion au cas par cas). Abréviations : BAT : test d’activation des basophiles (test allergologique in vitro). ETS : enzymothérapie substitutive. GAA : alglucosidase alfa (maltase acide). HI : hypersensibilité immédiate. MHC : masque haute concentration. VAS : voies aériennes supérieures. VVP : voie veineuse périphérique. |
L’ETS a été réintroduite chez neuf patients ayant présenté des réactions de grade I à III. La réintroduction de l’ETS s’est faite avec succès chez tous les patients, sans effets indésirables graves
Un patient a présenté une récidive isolée de réaction à la perfusion au cours de la désensibilisation (grade-I, rash cutané résolutif sous traitement antihistaminique et corticoïdes, patient 8), et il persistait un érythème facial modéré chaque lendemain de perfusion malgré le protocole de désensibilisation pour le patient 7. Les modalités de réintroduction variaient en fonction des centres de référence (deux patients sous prémédication et adaptation personnalisée des débits de perfusion, un patient sous prémédication seule, six patients sous prémédication et protocole de désensibilisation). Les prémédications comprenaient le plus souvent des antihistaminiques, des anti-leucotriènes voire des corticoïdes. Les protocoles de désensibilisation étaient définis localement. Trois patients ont bénéficié du protocole simplifié SWORD, “Start With One Regular Drop” [7]. Ce protocole permet l’augmentation progressive de la dose d’ETS, goutte par goutte, jusqu’à atteindre le débit standard maximal et la dose complète de médicament. Cette procédure est réalisée tous les quinze jours, au même rythme que le protocole ETS standard.
Comment prendre en charge une réaction d’hypersensibilité immédiate au décours d’une perfusion d’ETS en urgence ?
La prise en charge en urgence est commune à toutes les réactions d’HI et dépend de la sévérité de la réaction (Figure 1) [8]. Le bilan sanguin ne doit pas différer la prise en charge et comprend le dosage de la tryptase, de l’histamine et du complément. Pour les réactions de grade I, il est possible soit de diviser par deux le débit de la perfusion, soit de la stopper jusqu’à régression clinique complète. La perfusion est ensuite reprise avec un débit diminué de 50% pendant 30 minutes, puis le débit est progressivement augmenté sous surveillance rapprochée toutes les 15-30 minutes jusqu’à revenir au protocole standard [9].
Faut-il réaliser un bilan allergologique chez tous les patients ?
Les recommandations européennes ne préconisent pas de bilan allergologique après une réaction de grade I [10]. Concernant les patients présentant des réactions de grade I à répétition, ou de grade II ou III, on peut proposer un rapprochement avec le centre de référence local pour (i) une consultation auprès d’un allergologue (ii) la réalisation de tests allergologiques in vivo et in vitro 3 à 6 semaines après la réaction (IgE anti-GAA, pricks tests...) [11], (iii) une discussion multidisciplinaire entre neurologues/myologues, allergologues et anesthésistes-réanimateurs, sur les possibilités de réintroduction de l’ETS. Le patient doit être informé des risques liés à la réintroduction de l’ETS, de la possibilité d’échec, et de la lourdeur du protocole de désensibilisation (jusqu’à 24 heures de perfusion en fonction des patients et des équipes).
Chez quels patients peut-on réintroduire l’enzymothérapie après une réaction d’hypersensibilité immédiate ? Selon quelles modalités ?
Il n’existe pas de recommandations concernant la réintroduction de l’ETS après une réaction d’hypersensibilité immédiate. Les modalités dépendent de la sévérité de la réaction, du mécanisme allergique ou non allergique, de l’état général du patient, de ses comorbidités, des ressources humaines et techniques locales (personnel et locaux dédiés pour un protocole parfois très long, service de réanimation sur place...) et du choix éclairé du patient.
La présente étude ainsi que les données de la littérature montrent que la majorité des réactions d’HI à l’enzymothérapie substitutive sont de nature non-allergique et peu sévères (grade I), et que la réintroduction encadrée et personnalisée du traitement peut se faire de manière efficace et sans risque significatif pour le patient [6, 9]. Il existe encore peu de données pour les réactions de grades II et III, mais celles-ci sont rassurantes quant à l’efficacité et la tolérance de la réintroduction, surtout si le mécanisme est de type non allergique [5–7].
Les protocoles de prémédication comprennent habituellement des antihistaminiques et des antileucotriènes. Plusieurs protocoles de désensibilisation ont été publiés et sont adaptés en fonction des possibilités et des habitudes des équipes prenant en charge localement les patients [7,12]
Conclusion
Les réactions d’hypersensibilité immédiate sous enzymothérapie substitutive sont généralement peu sévères et peuvent être prises en charge par des mesures simples : prémédication, adaptation prudente des débits de perfusion... Cependant, les réactions récurrentes, de modérées à sévères, représentent un vrai défi pour le clinicien. Cette étude souligne l’efficacité et la tolérance des protocoles de désensibilisation chez neuf patients adultes ayant présenté des réactions de grade I à III avec poursuite sur le long terme de l’enzymothérapie substitutive. D’autres études sont nécessaires afin d’identifier les facteurs prédictifs de ces réactions d’HI et ainsi établir des recommandations nationales pour la réintroduction de l’ETS chez ces patients.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
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© E. Lagrue et al., publié par EDP Sciences, 2021
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